->Cylxl-H <-

 

Cy|x|

 

De nombrils en nombrils le monde accouche de lui-même
Ovsky 1995

 

 

 

Louis Confus s'éveillait à l'instant. Une voie douce lui souffla :
Bonjour Monsieur Confus. Prenez votre temps. Prenez tout le temps qu'il vous faudra.
Nous sommes en 2492. Quatorze générations après l'an 2000. Louis Confus vient de mourir à l'âge de 89 ans. Son cerveau a été copié. Sa connaissance, son esprit, ses pensées, ses sentiments, sa personnalité, son histoire, son identité, sa singularité, sa vie, son oeuvre, ... ont été copiés sur un support numérique . Un être plongé au coeurs du solipsisme. Potentiellement seul face à sa propre existence.
Il n'est ni le premier ni le dernier.

Quelque temps qu'il fût ce passage était, et est toujours surprenant, pour celui qui le vit. Après les formalités d'usage, sa première expérience de mort-vivant fut pour lui d'aller assister à son enterrement. Ce dernier était prévu pour 14h.

Quel miracle! Un corps dur, froid, laid, anxieux, blanchâtre et peu joyeux trônait au milieu de l'assemblée. Les vivants, plus sur-bronzés que sur-vitaminés, ne pleuraient pas. Les autres copies, qui assistaient à la retransmission vidéo de la cérémonie, étaient derrière leur poste. Ou pas. L'administration refusait les clones dans ce périmètre ! À l'exception du mort lui-même.
Le gouvernement avait choisit de mettre quelques règles du jeu dans ce qui apparaissait comme un territoire indomptable. Le législateur, dans son immense bonté, accordait trois copies. Louis avait choisit 25, 35 et 50 ans.
Toujours pour des questions juridiques, un lui de référence était obligatoire. Louis Confus avait décidé que son « Lui de 50 ans » serait celui-ci. La référence, le responsable, le Lui que l'on pouvait contacter en cas de force majeur. Son « catch all ». Le vrai, en quelque sorte.
Louis Confus avait décidé que son « Lui de 50 ans » serait son catch all. La référence, le responsable, le Lui que l'on pouvait contacter en cas de force majeure. Le vrai en quelque sorte.
Mais le principe permettait d'aller beaucoup plus loin, ce Lui de 50 ans pouvait connaître et rassembler l'ensemble de la pensée des trois Lui. Inclus les événements qui leur arrivaient maintenant qu'il était une copie. Et tout ceci était paramétrable à souhait.
Cette option, avec plus d'une copie, avait donné son nom au principe en 2428 : CYBXL. Un mélange, à dessein imprononçable pour un vivant, entre cybernétique et clone. Le X signifiant qu'il était possible d'avoir plusieurs copies. Les Cybxl employaient ce terme à fin d'élitisme. Pour eux cela n'était qu'un échange d'informations comme un autre. Toutefois les BIO avaient rapidement trouvé la parade et avaient déformé le mot en Cylxl qui ainsi redevenait prononçable. Les plus cyniques et vindicatifs, allant jusqu'à employer le terme de cylx-homme (lire silicium).

D'abord, il avait paramétré son Lui de 25 ans. Il s'était grandi, forci, embelli,... un jeune mâle en recherche de sensations fortes... Son Lui de 35 ans ressemblait à John Kennedy. Heureux avec les femmes bien sûr, mais également en affaires. Une mégalomanie le plaçant dans un de ces anciens jeux où le joueur fait évoluer une civilisation de l'âge de pierre à la conquête spatiale. La toute puissance divine à portée de manette. Enfin, pour son Lui de 50 ans, un corps sain dans un esprit sain ! Une sagesse tragico-bouddique emplie de zenitude transcendantale.

Que faire de son soi à l'âge de sa mort? Car s'il était prévu une fin classique (putréfaction) pour le corps, que faire des informations copiées qui ne correspondent pas à l'âge des copies ? À 89 ans, Louis avait choisi la solution d'une copie figée, partie intégrante de son esprit, de sa copie de 50 ans (qu'il ne pouvait trop laisser dégénérer) et une base de données interrogeable pour ses copie25 et copie35. L'avantage est qu'au cas où la réponse trouvée dans la copie89 ne leur sied pas, les copies25 et 35 pouvaient d'un clic retourner à l'état d'ignorance.

Sa copie50, en tant qu'administrateur commença par envoyer sa copie25 à la rencontre de son père.
Le monde des Cybxl ne transmettait aux vivants, les vrais BIO., qu'une part de leurs découvertes, pour que les sentiments inconnus d'eux ne leur soient révélés que dans le monde virtuel. Avec l'avantage suprême de pouvoir oublier et donc les renouveler à l'infini. Une manière de garder le suspens sur des sensations uniques. Certains y voyaient des résurgences des religions, qui, agacées (le mot est faible, à l'instar de la chair) d'avoir perdu l'âme, mégotaient des portions d'obscurantisme.

Sa deuxième expérience fut de rencontrer son père qui non seulement était son benjamin de deux ans, mais de plus avait choisi un paramétrage ou l'âge n'évolue pas au-delà de quelques heures. Son père revivait éternellement l'ensemble des championnats de football français entre 1926 et 2032.
Louis s'était d'abord assis longuement dans les gradins avant de retrouver son père à la mi-temps. La rencontre fut de courte durée. Son père avait choisi, dans sa copie de 23 ans, de ne pas connaître et reconnaître son futur ou plutôt son vrai passé et donc son propre fils. Louis lui dit simplement ce que ce même père lui avait tant répété:
Droit au but petit. Droit au but.
Sa copie50, toujours présente en arrière fond, se délecta de ces sensations. Un voyage dans le temps, dans le passé de son propre père...
Les premiers moments d'un Cybxl, quel que soit son âge de copie, débutaient quasiment toujours cette nouvelle vie, ce nouvel avenir, par un retour en enfance. Un enfant devant un nouveau jouet. La toute puissance jusqu'à l'obsession polymorphe de toutes sensations, de toutes résolutions de réflexion hypothético-déductive.
Louis Confus avait également choisi une utopie de référence pour chacune de ses copies. Il libéra donc sa copie25 dans la sienne, en 2144. Une époque qu'il avait toujours énormément appréciée. Une époque dorée où la révolution écologique - The Green Dream - avait commencé à porter ses fruits. Fruits, dont il aimait voir le sucre couler dans la chaude gorge des filles.

Que chacun de ces trois Lui, rencontre ses trois Lui. Puis ses trois pères, ses trois mères, trois fois chacun de ses amis... avec les combinatoires cela prend un certain temps. Mais du temps il en a. Il en a à revendre. Sans personne pour l'acheter !
Qu'importe, que ferait-il de cet argent!

Son Lui de 35 ans commença par s'attabler à son ordinateur. Comme il l'avait prévu, son esprit de scientifique ne put s'empêcher de marquer un temps d'arrêt devant ce paradoxe qui n'en est pas un. Que devient un programme entré dans un ordinateur virtuel? Peut-il à nouveau se copier dans cet ordinateur? La réponse est non. Cet ordinateur est réellement inexistant! Dans la « réalité » tout dépend de ce que le concepteur a programmé pour effet de cette programmation virtuelle.
Quoiqu'il en soit, cet ordinateur lui permet d'envoyer des messages à d'autres Cybxl ou à des vivants.
Son premier message va directement à ces amis. Des amis qui ont 200 ans de moyenne d'âge et qui habitent Youri Gagarine Avenue. Il leur écrit qu'il arrive.
Louis Confus vole. Il vole jusqu'à Y.G.A où l'attend son appartement acheté par sa soeur dans une brocante en 2450. Une antiquité d'un ancien MMORPG(1) qui aurait pu valoir cher si elle n'existait pas en autant d’exemplaires.
Sur la route, ou plutôt l'espace aérien, il est subitement ralenti par une manifestation. Une manifestation très particulière puisque le fait de vivants! Enfin pas vraiment des vivants mais pas vraiment des copies non plus. Des pseudo-vivants, des avatars manipulés par un vivant à partir de son PIC (Personal Interface Computer).

Un groupe de gens défile avec des pancartes graphiquement mal dégrossies. Écrites à la va-vite. Comme s'ils allaient mourir demain, ou un autre jour.
Car si tout était pour le mieux dans ce brave nouveau monde, cela allait trop bien! Les vivants estimaient justement que leur condition était moins enviable que celle des morts (des Cybxl).
Les morts ne font rien! Criaient t-ils. Pas même supporter leur propre poids!
Plus précisément, les reproches portaient sur des dimensions économiques et humaines.
Vous avez développé votre propre éco-numérique et vous asphyxiez la nôtre! Prétendait Intel.
Vos copies-coachs vous rendent imbattables, que ce soit aux échecs, dans un débat politique ou dans la manière d'être heureux. Renchérissait un autre.
Le Poids de l'humanité est lourd et nous le portons avec vous? Répondaient majusculement les Cybxl.

Soudain la masse se figea. L'image d'un immense visage prit la place de l'ersatz de foule. Leur héros, un bien nommé FEW, prit la parole:
Au nom de tous les HS (hyper-suicidés), laissez-nous nous hypersuicider où nous faisons revenir vos copies en arrière. Nous appuyons sur la touche REVIEW…

Louis Confus, perché sur un nuage, de force immobile, était scié! N'allait-il pas regretter de ne pas avoir choisi un paramétrage où il n'aurait eu aucun contact avec les autres? Mais très vite la raison lui revint. Il ne l'avait fait car c'était impossible. L'Etat gardait un oeil sur l'ensemble des configurations possibles, un Temps commun faisait partie des attributs du catch-all, le vivre ensemble restait à minima, une obligation.
Lui qui avait prévu des copies à la vitesse de vie variable (il espérait pouvoir voyager jusqu'aux confins de l'espace et du temps. Les 3000 ans d'histoire du monde Asimovien l'attendaient. Des fondations à construire, une Gaya à retrouver... Et peut-être, parce qu'un peu d'absurde ne nuit jamais, avec Marylin Monroe, dîner au dernier restaurant avant la Fin du monde (2) ), au lieu de voyage spatio-temporel, se retrouvait prisonnier des autres. L'enfer!

Finalement il put continuer son vol. Arrivé dans le salon de ses amis, à leur visage il compris que l'heure était grave. Des soulèvements avaient eu lieu six mois avant sa mort, son transcodage, sa copie, son up-load, son chargement,... et le mouvement prenait forme.
Une simulation d'écran trônait dans la pièce mais en réalité chacun était connecté à sa base de données d'actualité et analysait en temps réel jusqu'à vingt mille sources d'informations en simultané, aidé seulement de trois agents intelligents chacun.
L'un de ses amis lui transmit.
La menace des HS est grande. Les HS ne menacent pas seulement les Cy|x|(3), mais la vie biologique dans ses fondements.
Le temps réel, sérieux, le faisait chier! Aussi il choisit de remplacer son Lui35 par son Lui50 qui de toutes façons n'allait pas tarder à être activé par obligation. Son Lui de 35 ans pouvant repartir vers ces violons d'Ingres.
Ces amis avaient bien analysé le danger puisque quelques mois seulement après cette manifestation, les HIFI (Hyper Informationnalistes Fondamentaliste de l'Infini) prirent le pouvoir du parlement des BIOS.
D'aucuns y virent le signe que le mariage de la biologie et de l'informatique était consommé. La biologie s’étant faite phagocyter par l’informatique!

Mais plus fort encore, les BIOS négocièrent la connaissance finale. L'ouverture de la boîte noire. De la boîte de Pandore. La vérité sur le fonctionnement du cerveau humain. Les Cybxl décidèrent un référendum.
Le vote d'un trillion de citoyens fut dépouillé en quarante cinq secondes.
La réponse fut positive et le parlement dut déclencher le plan « Coonnessence ». Ce plan était en fait un programme qui avait été écrit en 2389, lancé pendant vingt ans et qui s'était arrêté après avoir indiqué d'un voyant vert qu'il avait la solution. Cerise rouge sur le gâteau du savoir, il affichait un magnifique 99,99% d'intelligibilité pour la réponse.
L'idée force de ce plan était que l'on ne sait pas ce qui se passe dans un cerveau parce qu'un objet ne peut se connaître lui-même. Comprendre un système demande mathématiquement de disposer d'un système plus complexe. Ce système supérieurement complexe était dorénavant obtenu par la puissance des ordinateurs quantique-fractalien du XXV° siècle et à quelques bons docteurs des sciences cognitives.

Son Lui de 50 ans, qui avait rêvé d'une vie sans tension, c'est-à-dire ou les instincts sont comblés jusqu'au fantasme et où donc la politique ne peut avoir de place, se retrouvait dans la tempête, en plein tourment historique.
La Boîte Noire ne pouvait être ouverte sur un coup de tête. Aussi anarchique que puisse paraître le système, les instances des vivants des siècles passés avaient prévu - donc résisté au temps et donc permis - l'interdit.
Même dans ce chaos, l'Etat était resté maître de quelques choses et pas des moindres. Tout ce qui se rapportait aux réponses aux grandes questions (là où toutes les sciences retournent dans les mains de la philosophie). Les machines, comme le démontrait le projet « Coonnessence », étaient en mesure d'y répondre. Mais ne pouvant anticiper les conséquences de ces grandes réponses, l'Etat avait appliqué le principe de précaution ultime à la réponse de la machine.
Mieux gardée que les caves du Vatican. Le principe de vie numérique après la mort avait anéanti les guerres. Sans martyre, le terrorisme avait disparu et jusque-là les secrets avaient été bien gardés. L'activité du réseau était totalement sous contrôle et aucune copie ne pouvait se déconnecter du réseau.

Le plus drôle est que la machine qui gérait le monde des Cybxl avait, elle, introduit des améliorations issues des réponses apportées par le projet « Coonnessence ». Chacun avait pu notamment constater que d'une intelligence artificielle nous étions clairement passés à une conscience artificielle. Certains nostalgiques se plaisaient à indiquer que l'on pouvait pousser jusqu'à parler d'inconscience artificielle.

Un second filtre existait. Les sages d'Unicog – le parlement composé de 50% de biologiques et de 50 % de copies - furent donc rassemblés. Même de vieux sages, une fois copiés, pensent à la vitesse de la lumière. L'ordinateur leur donna donc la réponse. Chacun savait que les modèles des siècles précédents, qui avaient permis les premières copies, étaient dynamiques et statiques à la fois. Leur enchevêtrement de cartes représentait parfaitement le fonctionnement du cerveau (physico-chimique) mais pas sa motivation - ce qui le faisait réellement avancer.
Avec la réponse de l'ordinateur, les sages avaient sous les yeux un modèle mathématique d'une rare complexité dont une partie de la représentation - qui servirait pour la communication officielle, montrait un ruban de Möbius parcourant les cartes mentales. Une force capable de parcourir, de « sentir » chaque zone et chaque atome du cerveau qui l'héberge. Une volonté intrinsèque à chaque individu inscrite dans le Temps et l'Espace. Le programme expliquait aussi comment dorénavant l'on pourrait permettre à des individus de voir leur cerveau fonctionner, de toucher du doigt cette force et ainsi de connaître le contact de leur pensée. Ou de la pensée d'un autre. Un contact intime! Ultime!
Mais mieux encore, l'ampleur de rotation pouvait être agrandie et ainsi des esprits appuyer leur pensée sur des cerveaux énormes, qui restaient à inventer. Mais aussi fonctionner dans le cerveau d'un autre. À deux dans le sien. À 10 000 dans le même. Faire des noeuds avec les rubans!
La découverte montrait que dans le cerveau, le fond était dissocié de la forme. Il y avait d'un côté les informations et de l'autre leur traitement. Mais dans le monde virtuel rien n'empêchait le système d'améliorer les capacités du ruban pour qu'il dispose en plus des informations d'un minimum de fond. Car connaître le fonctionnement du cerveau ne veut pas dire s'y limiter.
Devant cette découverte et ses conséquences apparentes, une décision fut prise et instantanément connue de tous.
bio-citoyens, cyber-citoyens, citoyens, nous allons effectivement ouvrir la boîte noire. Mais avant cela nous allons offrir le choix à chacun. Le choix de savoir ou de ne pas savoir. Le choix entre savoir et rester ou partir sans savoir.
Comme vous le savez, les Cybxl n'utilisent que très peu d'énergie et une centrale solaire nanotechnologique peut alimenter dix milliards d'entre nous. De plus, ces dix milliards d'êtres peuvent tenir dans le volume d'un verre d'eau. Ainsi, nous allons laisser le choix entre savoir et partir de notre planète (et de notre connaissance) sans savoir.
L'intervention du président sonna comme le sifflement du serpent du jardin d'Eden qui aurait laissé le choix à Adam et Eve.
On autorisa ce qui avait été interdit jusque-là : laisser les vivants s'hypersuicider. C'est-à-dire, se faire copier alors qu'ils étaient en bonne santé. Puis une partie de l'humanité fut donc installée dans un vaisseau spatial de la taille d'une grosse boîte à chaussures. Le système de propulsion possédait une énergie théoriquement infinie.

Quelques années plus tard, ceux qui étaient restés, avec le savoir, arrivèrent à dématérialiser les copies en ondes magnétiques. Car pour toutes virtuelles qu'elles étaient, il fallait tout de même un support physique pour engrammer les données. Ce temps-là aussi était fini.

Louis Confus regardait le soleil, le vrai. Astre déchu devenu quasi inutile. Il regardait l'Humanité partir en voyage dans un nuage magnétique. Un voyage au bout de l’univers. Et s’il y a une limite? Alors réinventer l’univers pensa-t-il. Et si le temps a une limite alors réinventer le temps pensa-t-il. Et si l'existence a une limite? Il regarda au fond de la boîte : « Les Hyper-Existants ».

FIN

 

(1) Massively Multiplayer Online Role-Playing Game - jeu de rôle en ligne massivement multi-joueurs

(2) Douglas Adams (1952/2001) - Le dernier Restaurant avant la fin du monde (1979). Ce restaurant accueille des clients qui dînent en regardant la fin des temps se réaliser devant eux. La séance reprend tous les soirs.

(3) Cy|x|: transmission avancée et pédante à tendance cabalistique de Cybxl qui, par le remplacement du B et du L en deux barres verticales | insiste sur le fait qu'il y a deux composantes bien distinctes (deux voix) mais aussi qu'un Cybxl est une application de la fonction « Cy » - cybernétique - à un homme, un X particulier dans l'absolu.

 


maj: 02/06/2007
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